Engagement et résistances au travail. Colloque en hommage à Stephen Bouquin
Engagement et résistances au travail. Colloque en hommage à Stephen Bouquin
Université de Picardie Jules Verne
Campus Citadelle (10, rue des Français libres, 80080 Amiens)
2-3 avril 2026
Le parcours de recherche de Stephen Bouquin, sociologue du travail, s’est brutalement
interrompu en janvier 2025. Ses travaux témoignent d’une lecture critique du travail et d’un
désir d’émancipation sociale. Pour Stephen Bouquin, à la suite et dans la continuité des
enseignements de Jean-Marie Vincent, directeur du département de Sciences politiques à
l’université Paris 8, le travail salarié ne se réduit pas à une activité productive immédiate et
tangible, mais s’inscrit dans le processus de valorisation propre au capitalisme. Profondément
insatisfait de l’état de la sociologie française du travail, Stephen Bouquin fonda en 2005 la revue
Les Mondes du Travail avec pour objectif de « se centrer sur le thème du travail sans se laisser
enfermer par lui » (éditorial du premier numéro, janvier 2006). Son souhait était de traiter « des
réalités contemporaines du travail dans toutes ses formes, en lien avec le hors-travail et la
structuration sociale en général ». À la fois intellectuel et politique, il a toujours questionné
l’ordre social dominant et les hiérarchisations d’un rapport salarial qui lui semblait peu théorisé.
La question sociologique des Résistances au travail (ouvrage collectif publié en 2008) témoigne
d’une posture à contre-courant, qui visait à dépasser les approches nationales, domino-centrées
et misérabilistes. Il projetait d’en publier une version actualisée tant cette problématique restait
fondamentale à ses yeux par rapport au monde actuel et à ses enjeux. À l’ère du capitalocène,
ses questionnements théoriques combinaient plusieurs grilles de lectures de la société
contemporaine dont la crise écologique et les résistances du travail vivant ainsi que la critique
de l’impératif systémique de la profitabilité (Bouquin, 2023).
Penseur aux multiples facettes (historien, sociologue, scientifique militant), il fut engagé dans
une lutte contre la précarisation des vacataires de l’université d’Evry Val-d’Essonne en 2019-
2020. Dans la foulée des mouvements contre la loi Travail (2017), des Gilets jaunes (2018), la
contre-réforme des retraites en 2019 et contre la destruction de l’université (LPPR, 2020), il
avait soutenu les vacataires et participé à l’élaboration d’une enquête par questionnaire afin
d’objectiver les conditions d’emploi et de travail à l’université d’Evry. Cet engagement
sociologique s’inscrivait plus largement dans une critique de la précarisation sociale
généralisée. Adoptant une approche d’enquête multi-située (auprès des agents RATP, des
cheminots, des ouvriers de l’automobile, des femmes de chambre, des travailleurs migrants, des
étudiants et des précaires de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), il mettait en pratique
son savoir sociologique en cherchant à rendre visibles des réalités déniées ou naturalisées. Quel
sens donner à la critique sociologique du travail qui fut celle de Stephen Bouquin ? Sur quels
fondements faire reposer une épistémologie critique dans un contexte de digitalisation et
d’ubérisation du travail ?
Nous proposons d’échanger autour de trois thèmes de prédilection des travaux de Stephen
Bouquin :
Atelier 1 : Résistances au travail et travail des résistances
Atelier 2 : La place du travail dans les mobilisations
Atelier 3 : Les mondes du travail, quels engagements du chercheur ?
Atelier 1 : Résistances au travail et travail des résistances
L’histoire sociale du début du 21e siècle est marquée par des transformations majeures du
salariat et du travail : digitalisation et travail à distance, plateformisation, recours aux faux-
indépendants, développement de l’intrapreneuriat, individualisation des rémunérations,
participations financières, etc. Malgré la consolidation de formes précaires de mise au travail et
le développement de nouveaux dispositifs de management visant l’adhésion volontaire du
salarié, la soumission n’est jamais totalement acquise : des formes de résistance, souvent
discrètes et informelles, existent dans les interstices de la domination et permettent l’émergence
d’espaces d’autonomie. L’objectif de cet atelier est de centrer l’attention sur les capacités de
résistance individuelle et collective des travailleur·euses face aux nouveaux dispositifs de
contrôle et d’assujettissement. Il s’agit d’éclairer les différents sens qui se dégagent des
interactions et des rapports de travail : adhérer, se faire enrôler et résister à l’aliénation,
s’opposer à la violence du rapport salarial, aux servitudes du travail, ou maintenir un espace
d’autonomie quotidienne...
Les propositions de communication visent à répondre à trois ordres de questions :
• Quelles sont les formes anciennes (sabotage, ralentissement…) et nouvelles de
résistance au gré des changements technologiques et de la relation salariale (collectifs
de gig workers des plateformes, logique collective de réduction de l’effort dans le milieu
du drive au sein de la grande distribution...) ? Quelles sont les ressources (scolaires,
locales, politiques, héritage ouvrier, solidarité fondée sur l’âge ou le genre...) dont
disposent les salarié·es ou les travailleur·euses pour résister ? En outre, dans quelle
mesure ce travail des résistances permet-il de supporter la condition salariale, voire de
s’affranchir de la domination managériale ?
• Les résistances fondées sur une définition partagée du métier et du travail « bien fait »,
que l’on peut alors opposer aux injonctions gestionnaires, peuvent-elles être un vecteur
de défense des identités professionnelles et du sens du travail ? En quoi le « travail
empêché » alimente-t-il des actes de résistance ou au contraire des formes de retrait et
de repli dans le hors-travail ?
• Comment certains collectifs, des plus institutionnalisés aux plus informels, arrivent-ils
à politiser la scène du travail ? Comment aussi penser le collectif de travail à l’ère du
capitalisme numérique, du travail à distance et du flexoffice ? Une diversité de grilles
théoriques (capacité d’agir individuelle ou collective, agency/agentivité ; les arts de la
résistance selon James C. Scott (La domination et les arts de la résistance : fragments
du discours subalterne, 1990) ; l’antagonisme des rapports sociaux ; une conscience
politique de classe, de sexe, de race…) pourrait ici être mobilisée afin de dégager des
enseignements sociologiques du devenir de l’agir au travail.
Atelier 2 : La place du travail dans les mobilisations
L’étude des mobilisations, de leurs formes et des acteurs qui y concourent traverse les travaux
de Stephen Bouquin depuis sa recherche doctorale publiée dans La valse des écrous aux éditions
Syllepse en 2006 et ses contributions dans des revues et ouvrages collectifs. Plusieurs numéros
de la revue Les Mondes du Travail y sont explicitement consacrés (n°3, n°20, n°23, n°30, hors-
série février 2020). Ces problématiques apparaissent aussi dans nombre de numéros de la revue
dont ceux consacrés aux mobilités et migrations, aux restructurations économiques, aux
conditions et temps de travail mais aussi aux capacités d’émancipation de la logique capitaliste.
Ces dossiers reviennent sur l’affaiblissement continu des forces et des représentations
syndicales, en lien avec l’émiettement des statuts professionnels et des collectifs de travail. Les
syndicats seraient débordés par les luttes sociales qui s’étendent de plus en plus hors des lieux
de travail.
Les propositions de communication s'attacheront à repérer tout à la fois les formes
contemporaines des mobilisations sociales et les contradictions qui les sous-tendent.
• Quelle place les syndicats occupent-ils dans les mobilisations actuelles ? Parviennent-
ils encore à instaurer un rapport de force ? Dans quelle mesure l’action syndicale peut-
elle surmonter les mécanismes d’individualisation et d’atomisation des mondes du
travail ? Une attention particulière pourra être accordée aux mots d’ordre, répertoires
d’actions et registres d’émotion (colères et ressentiments) qui entretiennent les
revendications et les utopies.
• Aussi, les formes de mobilisation apparaissent multiples, voire éclatées. On peut s’in-
terroger sur la place qu’occupent les revendications sur la protection du travail, de l’em-
ploi, des droits sociaux dans cette affluence de révoltes et de mouvements. Faut-il y voir
la « fin du travail » ? Une métamorphose du travail et des travailleurs ? Ou des formes
d’individualisation des rapports sociaux ? Quelle relation établir entre les situations con-
temporaines de travail et d’emploi, les modes de vie et ces mobilisations multiformes ?
Quelle place le rapport capital-travail occupe-t-il dans ces mobilisations comme celles
des Gilets jaunes ? Comment les syndicats y répondent-ils ou interagissent-ils ?
• Le rapport des mobilisations sociales à l’État peut aussi être discuté. Dans quelle mesure
la puissance publique qui porte des réformes massivement contestées y répond-elle et
comment ? Quels sont les cadres de négociations ? Assiste-t-on à une criminalisation de
l’action syndicale ou militante ? Quels peuvent en être les effets ? Enfin, quel est le
traitement médiatique (presse, réseaux sociaux) des mobilisations sociales et avec
quelles conséquences ?
Atelier 3 : Les mondes du travail, quels engagements du chercheur ?
Stephen Bouquin aimait se présenter comme « historien de formation, sociologue de métier et
scientifique militant ». En quoi cette dernière locution est-elle un oxymore ou une nécessité ?
Son engagement politique et syndical, remontant à sa jeunesse, a constitué le fil conducteur de
ses réflexions et de ses initiatives académiques, faisant de lui un sociologue marxiste engagé.
Cette articulation entre dimensions personnelle, militante et scientifique, n’allait toutefois pas
de soi. Plusieurs collègues n’ont découvert que tardivement – voire jamais – l’ampleur de son
engagement politique et syndical. Dans le milieu académique, Stephen Bouquin faisait preuve
d'un positionnement critique, n’hésitant pas à prendre des initiatives et des positions en décalage
avec les logiques dominantes. En témoigne la ligne éditoriale de la revue Les Mondes du
Travail, qu’il a dirigée de 2006 à 2024, et qui défendait une réflexion critique sur le travail,
affranchie des impératifs d’excellence, de classement et de h-index.
C’est précisément l’engagement de la chercheuse ou du chercheur critique, situé au cœur de
champs de tensions, que nous proposons d’interroger dans cet atelier :
• Qu’entend-on par « sociologue engagé·e » ? Quelles sont les tensions entre rigueur
scientifique et poursuite d’un projet politique ou syndical ? En quoi la proximité avec
des organisations politiques, syndicales et des mouvements sociaux peut-elle nourrir la
réflexion tout en risquant de restreindre les libertés du chercheur, voire d’affaiblir sa
légitimité ?
• Que signifie être sociologue engagé·e aujourd’hui, dans un contexte de doutes, de
discrédit de la science et de montée des autoritarismes et du fascisme ? Comment lutter
contre une restriction des libertés académiques ? En quoi renoncer à l’engagement, au
nom d’une posture scientiste, est-il raisonnable, voire dangereux dans le monde actuel ?
• Comment l’engagement de la ou du sociologue varie-t-il selon les générations, le genre,
ainsi que les contextes nationaux et internationaux ? Que change l’extension du champ
de l’engagement, en lien avec l’élargissement de la conflictualité, sur des thèmes
renouvelés comme l’écologie, les féminismes, l’antiracisme ? Quelles sont les
conséquences de ces extensions sur le statut épistémologique des sociologies critiques ?
Calendrier de soumission :
• 14 novembre 2025 : date limite de réception des propositions (3 000 signes).
• 19 décembre 2025 : notification aux auteurs.
• 6 mars 2026 : date limite de réception des communications (60 000 signes tout compris).
• 2 et 3 avril 2026 : le colloque se tiendra dans les locaux de l’Université de Picardie Jules
Verne (UPJV) à Amiens.
Les propositions sont à envoyer à l’adresse mail suivante : colloquestephenbouquin@protonmail.com
Comité d’organisation :
Rachid Bouchareb, Nicola Cianferoni, Antonella Corsani, Pascal Depoorter, Nathalie Frigul,
Manon Libert, Marc Loriol, Alain Maillard, Cécile Piret, Guillaume Tiffon, Jean Vandewattyne.
Composition du comité scientifique :
Mateo Alaluf, Louis-Marie Barnier, Bruno Bauraind, Carlotta Benvegnu, Sophie Béroud, Paul
Bouffartigue, José Calderon, Pierre Cours-Salies, Marie-Anne Dujarier, Jean-Pierre Durand,
Gaëtan Flocco, Dominique Glaymann, Mélanie Guyonvarc’h, Donna Kesselman, Michel
Lallement, Florent Le Bot, Danièle Linhart, Cédric Lomba, Séverin Muller, Jérôme Pélisse,
Roland Pfefferkorn, Françoise Piotet.