
Marc Bloch fondateur de l’IHES (Institut d’histoire économique et sociale)
Une notice de Anne Conchon : Marc Bloch fondateur de l’IHES (Institut d’histoire économique et sociale)
Si l’IHES a été intégré en 1997 à l’IDHE (devenue ensuite IDHE.S) dans le vaste mouvement de création des UMR, l’héritage de ce centre fondé par Marc Bloch subsiste à l’université Paris 1, notamment à travers sa bibliothèque.
Le 1er novembre 1937, M. Bloch est élu professeur d’histoire économique à la Sorbonne pour succéder à Henri Hauser qui a été le premier titulaire de cette chaire. Quelques mois après sa prise de fonction, M. Bloch fonde l’Institut d’histoire économique et sociale en juin 1938. En vertu de son acte de création, cette structure a « pour objet de développer, coordonner et aider les études relatives à l’histoire des faits économiques, en eux-mêmes, et dans leurs rapports avec l’histoire des idées ainsi que des structures sociales »[1]. L’IHES, qu’il qualifie de son « enfant »[2], avait pour objectif d’institutionnaliser un « groupe d’études » informel en l’adossant à une bibliothèque spécialisée en histoire économique[3].
Ce projet a été porté conjointement avec Maurice Halbwachs titulaire de la chaire de sociologie[4]. Ami de Simiand, il avait traité des expropriations dans sa thèse de droit (1909), puis de la classe ouvrière et des niveaux de vie dans sa thèse de lettres (1912). Ce rapprochement avec M. Halbwachs, malgré la polémique qui va l’opposer à M. Bloch à propos de la mémoire collective, explique sans doute qu’il ait même été question provisoirement d’intituler cette nouvelle structure « Institut d’histoire et de sociologie économique »[5]. Pour financer la création du nouvel institut et de sa bibliothèque, M. Bloch et M. Halbwachs sollicitent une dotation de 10 000 francs[6]. Pour l’année 1937, ils ont obtenu de l’université un crédit de 5000 francs et une subvention de 3000 francs versée par les Amis de l’Université[7]. Rapidement M. Bloch demande une légère augmentation du budget pour pouvoir engager dans la durée une politique d’acquisition d’ouvrages, notamment en langue étrangère, et d’abonnement de revues[8]. Il était par ailleurs prévu de couvrir une partie des dépenses de fonctionnement grâce aux droits versés par les étudiants au titre des travaux pratiques, soit un montant de 50 francs par semestre (art. 6).
En vertu des statuts entérinés par la faculté des lettres, le comité directeur était composé, outre du doyen de la faculté, des enseignants titulaires assurant les cours d’économie sociale et d’histoire économique ainsi que de trois autres collègues (en histoire, en sociologie ou en philosophie et en droit). M. Bloch en devient le premier directeur quelques mois plus tard en novembre 1938[9].
La création de l’IHES procède de la même motivation que celle qui a présidé à la création de la revue des Annales d’histoire économique et sociale. Il s’agit d’affirmer la position de la France sur le champ disciplinaire grâce à un périodique soucieux de rassembler des chercheurs par-delà les frontières disciplinaires et susceptible de rivaliser avec les revues étrangères - la Vierteljahrshrift fur Sozial und Wirtschaftsgeschichte (créée en 1903), The Economic History Review (1927-) et The Journal of Economic and Business History (1928-) -, quitte à concurrencer en France la Revue d'histoire économique et sociale. En créant l’IHES, l’objectif de M. Bloch est aussi de consolider la position institutionnelle de la chaire d’histoire économique et sociale au sein de l’université de Paris. Quelques mois auparavant, L. Febvre évoquait en effet la fragilité de cet enseignement : « quand j’apprends qu’en ce moment même, à la Sorbonne, une offensive dirigée par Halphen, épaulée par Lot, est menée contre la seule chaire d’histoire économique existant dans une université française : celle de Hauser, qu’il s’agit de naufrager au nom du Moyen Age : j’en avertis de suite Marc Bloch sur avis d’Albert Demangeon. Vous voyez que, du côté universitaire, on est exactement aussi avancé que du côté chartiste. Nous serons bientôt la risée de l’Europe. Nous le serions, s’il n’y avait quelques « francs-tireurs » de l’histoire économique embusqués ici et là et qui sauvent l’honneur »[10].
Dans le cadre de l’IHES, M. Bloch œuvre ensuite à la création d’un certificat d’histoire économique en arguant du fait que « les études d’histoire économique attirent de plus en plus de jeunes travailleurs et, notamment, nos étudiants étrangers, auxquels il nous serait pénible de ne pas pouvoir offrir les ressources de travail auxquels les ont habitués les institutions de leurs pays d’origine »[11]. De fait comme le signale Olivier Dumoulin les sujets de thèse en histoire économique et sociale tendent à s’accroître pour représenter 26,8 % des recherches entre 1939 et 1944[12]. L’objectif affiché de M. Bloch est alors de rivaliser avec d’autres établissements étrangers tels que la London School of Economics et le Seminar für Wirtschaftgeschichte de Münich.
A la suite des lois raciales promulguées en octobre 1940, M. Bloch est affecté « provisoirement » à l’université de Strasbourg pour assurer un enseignement en histoire du Moyen Age (en remplacement de Jean Déniau) tout en restant rattaché administrativement à l’université de Paris[13]. Pour suppléer au départ de M. Bloch affecté en juillet 1941 à l’université de Montpellier située en zone libre, c’est Camille-Ernest Labrousse, alors directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes et membre du comité de rédaction de la RHES, qui est proposé par le comité d’histoire pour assurer l’enseignement d’histoire économique au cours de l’année universitaire 1941-1942. E. Labrousse, qui recueille la majorité des suffrages (20 sur 35 votants), va être préféré à Maurice Baumont (qui devient alors professeur de géographie industrielle et commerciale au CNAM) et Roger Doucet (spécialiste d’histoire financière de la France du XVIe siècle)[14]. Après l’assassinat de M. Bloch, c’est C.E. Labrousse qui lui succédera à la chaire d’histoire économique et sociale et à la direction de l’IHES.
Anne Conchon (Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne / IDHE.S)
[1]AN 20010498-178. Statuts de l’Institut d’histoire économique et sociale (Art. 2. Les statuts sont aussi consignés dans le registre des procès-verbaux de l'assemblée et du conseil des professeurs de la faculté des lettres de Paris (1937-1944) AN AJ 16 4758, 12 février 1938 p. 36-37.
[2]AN 20010498-178. Lettre de M. Bloch sans doute au doyen (18 juin 1938).
[3]A l’époque, il existait la bibliothèque généraliste et celle d’économie attachée à la faculté de droit et au centre dirigé par Charles Rist.
[4]Il sera nommé en août 1940 à la chaire d’économie sociale (AN AJ 16 4758. Registre des procès-verbaux de l'assemblée et du conseil des professeurs de la faculté des lettres de Paris (1937-1944), assemblée du 20 août 1940), p. 167.
[5] AN 20010498-178. Lettre de M. Bloch à Joseph Vendryes, doyen de la faculté des lettres (9 mars 1937).
[6] Ibid.
[7] AN 20010498-178. Lettre de M. Bloch au recteur de l’université de Paris (19 janvier 1938).
[8] AN 20010498-178. Note dactylographiée Institut d’histoire économique et sociale signée par M. Bloch (sd).
[9] AN AJ 16 4758. Registre des procès-verbaux de l'assemblée et du conseil des professeurs de la faculté des lettres de Paris (1937-1944). Arrêté de M. Roussy, recteur de l’Académie de Paris (28 novembre 1938).
[10] Correspondance Marc Bloch-Lucien Febvre, Paris, Fayard, 2004, t. II, p. 515 : Lettre de L. Febvre à G. Espinas (27 janvier 1936).
[11] Lettre de M. Bloch au recteur de l’université de Paris (19 janvier 1938). M. Bloch évoque aussi cette formation dans une lettre adressée à L. Febvre (9 mai 1938) : « Je suis obligé de me préoccuper de la préparation du certificat d’histoire économique qui commencera à fonctionner l’an prochain. Il comprend, comme vous le savez, une question sur ‘ Les grandes entreprises marchandes et financières et les principales places de commerce en France, dans les Pays Bas et en Allemagne aux XV et XVIe siècles » Correspondance, t. III (Les ‘Annales’ en crise (1938-1943), Paris, Fayard, 2003.
[12] O. Dumoulin, « L'histoire et les historiens 1937-1947 », Bulletins de l’Institut d’Histoire du temps présent,1988, 8, p. 166.
[13] AN AJ 16 4758. Registre des procès-verbaux …op. cit., p. 191 : lettre du secrétaire d’Etat à l’Instruction publique et à la jeunesse à M. le recteur de l’académie de Strasbourg (14 octobre 1940).
[14] AN AJ 16 4758. Registre des procès-verbaux … op. cit. : Arrêté du secrétaire d’Etat de l’Eduction Nationale et de la jeunesse (5 décembre 1941).